Témoignage de Michel Biot
Texte de Michel Biot
« Voilà plus de soixante ans que je suis peintre, préférant dire : je suis peintre plutôt que je peins, dans la mesure où l’acte dépasse l’acte et entraîne tout un état d’être au monde . C’est à l’âge de huit ans que j’ai ressenti cette vocation, dessinant les éléments de la vie qui me touchaient tant : le secret, la fragilité et la force des éléments de la nature. J’aimais alors montrer ces émotions par le dessin, l’aquarelle, le fusain sur le papier. Se donner à voir, faire partager ses émotions, passe sans doute pour le spectateur dans la rencontre avec l’œuvre par un processus trinitaire : Il y a d’abord, le « ah! » de l’œuvre, le premier instant de la première rencontre, la surprise qui induit des réactions du souffle, le « ah! ». Puis ensuite le spectateur continue sa découverte émotionnelle en rencontrant la matérialité de l’œuvre : son grain, sa lumière, sa transparence, la trace du pinceau, l’éclatement là, la griffure ici…, les échanges entre les couleurs…, en un mot l’œuvre incarnée. Alors existe le troisième volet de cette unité, l’esprit de l’œuvre, la référence que celle-ci évoque et éveille au plus intime du spectateur, et qui n’est, du reste, que rarement la même référence exacte que celle donnée par l’artiste. Et c’est peut-être à cause de cette différence entre la référence et la mémoire, entre celle de l’artiste et celle du spectateur, que je crois avec certitude que l’émotion s’effrite si les choses sont dites de façon si précise que l’imaginaire de l’autre ne peut plus s’y glisser. Dans l’acte créatif tel que je le vis et fais, il y a, pour chaque œuvre qui s’épanouit sous le pinceau, un moment, des moments où ce n’est plus la conscience volontaire qui mène le geste, mais une force hors de soi qui dirige les événements. La peinture doit être signifiante. Pour ma part, je tente d’exprimer par ma peinture la vie intérieure des éléments de la nature, les forces qui les animent, les forces qui s’opposent, les forces calmes qui se réconcilient aussi, toutes les chaleurs de vie qui sont dans un caillou comme dans un brin d’herbe, un lambeau d’écorce, un nuage, la réconciliation des éléments lors du coucher du soleil. J’aime dans l’art que la plénitude du monde et de l’humain l’emporte sur l’artifice, le fond sur l’effet, la chaleur cordiale sur l’invécu. »
Michel Biot Septembre 2016.
Les chants de l'univers
Texte de Michel Biot
Les toiles sont des chants de l’émotion sur l’âme des éléments, une fête pour l’œil, aussi simple qu’un espace immense, aussi simple qu’un caillou ou qu’un brin d’herbe.
Depuis des années, je me promène avec un carnet de croquis pour noter l’instantané, le fortuit, l’éphémère. J’y inscris quelques notes pour mémoriser une couleur, un éclat de lumière, une matière. La réalité m’apparaît parfois, peut-être, plus inventive que l’imaginaire. Cette relation intime avec les éléments va connaître une nouvelle vie dans l’atelier, là je vais oublier pour désapprendre, oublier ce qui s’est furtivement dévoilé. Maintenant le travail intime de la création peut commencer. Si je veux donner à ressentir, à voir, je veux également suggérer intensément . Je crois avec certitude que l’émotion s’effrite si les choses sont dites de façon si précise que l’imaginaire ne peut plus s’y glisser.
Je suis peintre parce que je me sens mû par la nécessité de donner à voir, de transmettre, d’apporter à l’autre les émotions qui m’étreignent. Dans l’acte créatif tel que je le vis et le fais, il y a pour chaque œuvre qui s’épanouit sous le pinceau, un moment où, effectivement, ce n’est plus la conscience volontaire qui mène le geste, mais une force hors de soi qui dirige les événements.
Je tente d’exprimer dans ma peinture, la vie intérieure des éléments de la nature, les forces qui les animent, les forces qui s’opposent (la lutte de la montagne contre l’érosion, de l’arbre contre le vent, du récif contre l’assaut des vagues), les forces qui se réconcilient aussi, toutes les chaleurs de vie qui sont dans un caillou comme dans un brin d’herbe, un lambeau d’écorce.
Le grandiose d’un paysage ne me sert pas, je préfère créer l’espace à partir d’un vulgaire caillou, rêver l’élément, le façonner de mon imaginaire ou plus exactement de ce que j’ai appris de sa vie intérieure.
La fragilité n’est elle pas aussi à l’origine de l’émotion ?
Je me sens de l‘arbre fruitier.
Texte de Michel Biot
Nourri par la terre, l’humidité de la terre, les racines se nourrissent des éléments minéraux. Nourri par l’air, l’atmosphère, l’air pur, le vent.
Nourri par le soleil, nourri par les pluies légères, par l’entourage des beautés, le corps recouvert des écorces qui réchauffent et protègent des parasites, je donne des fruits le mieux que je ressens. Peut-être manquent-ils de saveur d’onctuosité pour certains, qui puis-je ?… Je fais le mieux de mes possibilités, de mon ressenti pour un donner à voir (à manger !) dans le plus d’émotions. Mais je ne connais pas les arcanes des émotions des autres. D’où viennent les émotions ? Par rapport à la naissance de leurs rencontres du monde, des drames, rencontres des autres, rencontres des paysages, de la nature, des mondes – minéral, végétal, célestes ?
Je porte mes fruits avec une émotion et une énergie farouches, issues de ma « vocation », de mon être au monde (vocation reçue et à laquelle j’ai dit, Fiat). Mais je ne suis pas responsable des récoltes de mes fruits, de l’appréciation des gourmands ni du marché des réalités dites « économiques ».
Je me sens un arbre fruitier enraciné, les branches ouvertes à recevoir, à accueillir dans le désir fou de donner aux autres. Si les autres n’existaient pas, pourquoi alors y aurait-il l’accueil et la générosité du geste ? Et pour l’arbre quelle nostalgie de voir ses feuilles tomber, le dos sur la terre, et rétracter doucement ses ramures comme pour protéger les couleurs qu’elles gardent avec tendresse dans sa paume. La feuille comme une main protège son ultime trésor de vie.
Michel Biot
Notes
Texte de Michel Biot
Le plaisir de peindre, le toucher de l’œil, la couleur appelée par l’autre tâche ici, la matière minérale rugueuse, la qualité de douceur ou de raideur du pinceau, la caresse, la délicatesse ou la friction, la cicatrice, l’éruption… et toute l’œuvre s’entraîne dans une fête à être ainsi, à côté de cette force, de cette couleur, de ce glacis, de cette lumière.
Tu ne te rends pas compte du bonheur que tu as d’être à côté de cette couleur, de cette forme, de cette touche qui révèle ta sensibilité aussi.
Insister sur la matière, sa présence, sa transparence dans les couleurs parfois fluctuantes.